Réchauffement climatique, crise du foncier, retour de l’inflation, pression démographique, hausse des taux… le modèle économique du logement social est soumis à rude épreuve.
Pour fêter les 70 ans de l’organisme, le président de l’Opac de la Savoie, Luc Berthoud, a invité Jean Jouzel, militant de la lutte contre le réchauffement climatique, à s’exprimer devant le personnel. Une manière de rappeler que les sujets environnementaux dictent la feuille de route des prochaines années. Pour atteindre la neutralité carbone dans la seconde moitié du siècle – objectif de l’Accord de Paris –, il convient de mettre les bouchées doubles en matière de rénovation.
Accélérer le rythme
« Le logement social est pourtant plutôt un bon élève par rapport au secteur privé », assure Pierre Frick, adjoint au directeur de la maîtrise d’ouvrage et des politiques patrimoniales à l’Union sociale pour l’habitat (USH, principale association représentative du secteur), « mais au rythme où nous allons, le passage de l’ensemble des bâtiments en catégorie “très performant” n’interviendrait qu’en 2070. Il faut accélérer le rythme… Sans perdre de vue que notre première mission reste de loger les gens : en plus de mettre à niveau notre parc au plan énergétique, nous devons le recomposer pour répondre aux nouvelles attentes. Il faut plus de petits logements, par exemple. »
Isabelle Gautron, directrice de Léman Habitat et actuelle présidente de l’USH 74, dit les choses autrement : « Nous sommes confrontés à un double défi. Pour améliorer le pouvoir d’achat de nos clients, nous devons, d’une part, continuer à produire des logements neufs, de façon à permettre à plus de Haut-Savoyards d’accéder à un logement social, dans un département où nous avons 27 000 demandeurs de logement, dont un tiers, certes, est déjà logé dans le patrimoine ; et, d’autre part, réhabiliter notre parc pour diminuer les charges. Nous savons bien que nous avons tous largement augmenté les provisions pour charges ces derniers mois afin de tenir compte des hausses des énergies, notamment, et nous voyons bien que cela crée des difficultés chez nos clients. »
À l’Opac de la Savoie, l’effort de rénovation thermique est chiffré à 370 millions d’euros sur les dix ans qui viennent par le directeur général, Fabrice Hainaut, pour « éradiquer les logements aujourd’hui classés E, F et G », c’est-à-dire les “passoires thermiques”. Le directeur général d’Halpades Alain Benoiston parle d’un effort comparable : 30 millions chaque année consacrés à réhabiliter quelque 600 logements. Mais l’effort de production est également important… pour l’instant. « En 2022, nous continuons à produire 500 logements à Halpades, indique Alain Benoiston, mais il faut s’attendre à un creux en 2023. »
Réhabilitations
Le programme des réhabilitations reste volontariste. « Nous n’avons “que” 18 % de passoires thermiques dans le département, mais les enjeux restent importants. L’ensemble des bailleurs traitent 1 300 logements chaque année et nous devrions passer à 2 000… Sous réserve, bien sûr, de trouver les entreprises et d’avoir accès aux matériaux à des prix raisonnables », assure Isabelle Gautron.
Pour la production de logements neufs, en revanche, la situation est nettement plus tendue. « La programmation nationale ellemême est en baisse, et il n’est pas certain que les projets lancés aillent jusqu’au bout : les ouvertures d’appels d’offres dépassent de 15 à 20 % les prévisions, ce qui change la donne… pour nous, mais également pour les promoteurs privés à qui nous achetons 60 % de la production annuelle en Vefa (vente en état futur d’achèvement). »
La construction sérieusement ralentie
Et la présidente de l’USH 74 d’annoncer un ralentissement de la production : « Nous étions sur un rythme de croisière de 2 300 à 2 500 logements neufs par an, avec un pic à 2 800 en 2019. Nous n’en sortirons que 1 500 en 2022, et combien en 2023 ? »
C’est que, rappelle Alain Benoiston, « nous sommes confrontés à la hausse des coûts de la construction, mais également au relèvement des taux bancaires, qui nous impacte directement. Un bailleur social investit sur le long terme et est, par nature, très endetté. Un pour cent d’augmentation des taux pèse 7 millions d’euros dans nos comptes de résultat… Tout cela dans un modèle économique contraint, puisque les loyers sont encadrés. C’est une réelle préoccupation. »
Pas question pour autant de rogner sur la qualité. Les seize bailleurs de l’USH 74 viennent de s’engager sur une charte commune pour intégrer les leçons des confinements, qui ont rappelé que le logement reste le premier refuge.
Demain, la mixité immobilière
La loi “zéro artificialisation nette” (Zan), qui fixe l’objectif de ne plus consommer de nouveaux espaces naturels à l’horizon de 2051, rajoute une complexité à l’équation à résoudre. Les bailleurs ne contestent pas son bien-fondé. « La dimension environnementale est importante », reconnaît Alain Benoiston, le DG d’Halpades.
« C’est un sujet d’acceptabilité de la population. Il faut avancer avec les collectivités sur la mixité immobilière. Une zone entièrement commerciale, ça n’a plus de raison d’être, par exemple. Sortons de l’habitude des zones à usage unique dans les plans locaux d’urbanisme. C’est un sujet à moyen terme. »
Un objectif que partage l’architecte savoyard Jean-Loup Patriarche. « Chaque français occupait 17 mètres carrés il y a cinquante ans. C’est 40 m2 aujourd’hui. Il ne faut pas hésiter à rénover, changer d’usage les bâtiments, densifier… » Dans les cartons de l’agence, des friches industrielles deviennent des logements, des bâtiments gagnent un étage, des résidences sont construites sur l’eau, des serres reçoivent des logements… « Il va falloir privilégier l’usage sur l’image », assume l’architecte.
Philippe Claret
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