Lyon-Turin : dans les entrailles du projet

par | 17 septembre 2018

A l’aube de choix décisifs pour le projet, en France comme en Italie, Eco a creusé le sujet. Articles, interviews, enquête : un dossier exclusif.

Le gouvernement français a dévoilé, mardi 11 septembre 2018, sa politique d’investissement prioritaire dans les transports. Et le moins que l’on puisse dire c’est que les choix arrêtés par le ministère d’Elisabeth Borne – sous la tutelle attentive de Matignon et de Bercy – ne sont pas très rassurants pour le projet Lyon-Turin.

Ces choix devraient bientôt être suivis de ceux du gouvernement italien, qui a attend le résultat de l’étude coût-bénéfice qu’il a commandité avant de se prononcer définitivement sur l’avenir de la nouvelle liaison transalpine. Les choix de Rome sont encore plus redoutés que ceux de Paris par les partisans du projet, car l’exécutif conduit par Giuseppe Conte, lui, ne s’interdit pas de tout stopper, y compris la partie centrale (transfrontalière).

Justement, où en est-on de cette partie transfrontalière et plus particulièrement du creusement du grand tunnel de 57,5 kilomètres ?

En 2019, 4 milliards de plus dans le grand tunnel

Sans se préoccuper des débats, le creusement du grand tunnel transfrontalier se poursuit. il devrait même s’accélérer l’an prochain. Les chiens aboient, le tunnelier passe. Entre Saint-Jean-de-Maurienne et Suse (Italie), le creusement du futur tunnel transfrontalier de 57,5 kilomètres se poursuit comme si de rien n’était. Car Telt, le promoteur public binational qui pilote le chantier, n’a reçu, pour l’heure, aucune demande de suspension des travaux de la part du gouvernement italien. Federica, le tunnelier, a déjà creusé 5 des 9 kilomètres de la galerie située entre les descenderies (puits d’accès) de Saint-Martin-la-Porte et de la Praz.

Ces 9 kilomètres sont dans l’axe et au gabarit du futur tunnel transfrontalier, même si juridiquement ce ne sont encore que des travaux « de reconnaissance ». Côté français, les travaux « définitifs » (tels que définis dans les accords avec l’Italie) devraient toutefois bientôt commencer, plus de 15 ans après le début du chantier (2002). C’est en tous cas ce que prévoit la convention entre Telt, le ministère des Transports français et l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), signée en mai dernier et portant sur une enveloppe de 270 millions d’euros.

Est-ce à dire que « la disponibilité du financement » qui, selon l’accord franco-italien de 2012 (article 16), devait être « un préalable au lancement des travaux », est établie ? « Après 2012, il y a eu l’accord de 2015, dans lequel les deux États se sont engagés à réaliser les travaux définitifs. Cela vaut disponibilité du financement ! estime Alain Chabert, directeur général adjoint France de Telt. Vous en connaissez, vous, des projets de cette ampleur pour lesquels la totalité du montant est posé sur la table avant le premier coup de pioche ? » Une lecture plus restrictive de cet article 16 pourrait laisser penser que la condition visait à ce que les deux États mettent en place, au préalable, les recettes dédiées aux travaux (le texte évoque la disponibilité du financement, pas des fonds), type vignette poids-lourds. Plutôt que d’apporter les fonds par subvention au “coût par coût”.

Pas de remise en cause officielle

Dans les mois à venir, Telt prévoit d’attribuer pour près de 4 milliards d’euros de travaux « définitifs ». En suivant toujours la stricte procédure anti-mafia élaborée en 2015 (l’ex-directeur général de LTF, l’ancêtre de Telt, avait été condamné en 2011 pour trucage d’appels d’offres). Pourtant, là encore, aucune demande de suspension des procédures n’a émané du gouvernement italien. « L’attribution des marchés les plus importants interviendra plutôt fin 2019 », précise Alain Chabert.

Du coup, même si Telt estime à 1 milliard d’euros le montant des travaux qui auront été attribués d’ici fin 2018, Rome a semble-t-il choisi d’attendre le résultat de son étude coût-bénéfices sur le projet avant, le cas échéant, d’appuyer sur le frein. De la même manière – malgré certaines déclarations orales du ministre des Transports laissant penser qu’il pourrait le faire –, l’exécutif conduit par Giuseppe Conte n’a toujours pas formellement remis en cause la délibération du Comité interministériel de programmation économique (Cipe) du 21 mars. Cette délibération, prise par un gouvernement battu aux élections deux semaines plus tôt, constitue la dernière étape de validation, côté italien, du programme des travaux définitifs.

Carte : que recouvre exactement le projet Lyon-Turin ? Explications.

Selon l’accord franco-italien du 30 janvier 2012, le projet se décompose en trois parties : la partie française, de Saint-Didierde- la-Tour (Saint-André-le-Gaz) à Montmélian ; La partie commune franco-italienne, entre Montmélian et Chiusa di San Michele ; et la partie italienne, qui se poursuit jusqu’au noeud ferroviaire de Turin. Pourtant, dans les faits (pilotage des travaux), la section transfrontalière a été raccourcie, se limitant au tronçon Saint- Jean-de-Maurienne/sortie Est de Suze. Cela ne change rien au kilométrage global : environ 270, dont 140 en France et 65 kilomètres dans la “nouvelle” section transfrontalière.

Mais cela pourrait tout de même avoir son importance au moment où le gouvernement s’apprête à réduire la voilure sur les nouveaux projets (lire page 38) : juridiquement, la partie Montmélian/ Saint-Jean-de-Maurienne reste couverte par l’engagement international de la France. Côté français, à l’extrémité occidentale, la nouvelle ligne mixte (fret + voyageurs) doit se raccorder au réseau existant et au futur contournement ferroviaire de l’agglomération lyonnaise (Cfal). De là, elle file vers l’Est et devrait comporter trois tunnels (qui ne figurent pas sur la carte ci-dessus) aux environs de Bourgoin, La Tour-du-Pin et Saint-André-le-Gaz. À Avressieux, dans l’Avant-Pays savoyard, la première phase des travaux entérinée par la déclaration d’utilité publique de 2013 porte bien sur la réalisation de deux tunnels mixtes de Dullin-L’Épine pour rallier Chambéry.

Toutefois, des voix montent pour que la priorité soit plutôt donnée au tunnel sous Chartreuse (en version mixte), initialement prévu en seconde phase. À partir de Montmélian, l’accord France-Italie de 2012 prévoit deux tunnels (Belledonne et Glandon), que les partisans du Lyon-Turin proposent maintenant de remiser à (beaucoup) plus tard, pour faire des économies. Puis arrive le grand tunnel de 57,5 kilomètres, dont 45 kilomètres en territoire français. Après le long tube, le tracé ne devait guère ressortir : tunnel d’Orsiera (19 kilomètres) puis enchaînement de parties souterraines (près de 39 kilomètres sur 47) jusqu’aux confins de Turin. Mais la réalisation du tunnel d’Orsiera a été repoussée à après 2035 et le reste fait encore l’objet de discussions.

 


Pour lire la suite de ce dossier :

Lisez le magazine Eco Savoie Mont-Blanc consacré au Lyon-Turin dans son édition du 14 septembre. Un dossier qui évoque aussi l’état d’utilisation de la ligne historique. Et dans lequel le porte-voix des pro-Lyon-Turin, Jacques Gounon, président du Comité pour la Transalpine, nous a accordé une interview exclusive.

Pour accéder à ce dossier et à se compléments spécifiques publiés uniquement sur notre site web, c’est ICI, dans notre liseuse en ligne. Ou alors ICI, pour profiter en plus de plein d’autres articles.

 

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Le sommaire du dossier paru dans Eco Savoie Mont-Blanc du 14 septembre :

Page 27
« Les normes ou l’énorme »
Le cadre du débat, à l’heure des choix décisifs

Page 28
En 2019, 4 milliards d’euros supplémentaires investis dans le grand tunnel
Le point sur les travaux en cours, les freins possibles, les investissements à venir.

Page 29
Le tracé et ses enjeux
La carte du projet, expliquée et commentée au regard de l’actualité et des choix encore en suspend.

Page 30 et 32
Interview de Jacques Gounon, président du Comité pour la Transalpine : « Une nécessité pour l’avenir et pour l’environnement »
Celui qui est aussi pdg de Getlink (ex-Eurotunnel) revient dans un entretien exclusif sur les débats en cours et les grands enjeux qui entourent le projet.

Page 34
De la friture sur la ligne (historique)
Les problèmes de sécurité pointés par les Italiens dans le tunnel ferroviaire du Fréjus (qui date de 1871) et les cafouillages de la mise en concurrence de l’Autoroute ferroviaire alpine : Eco vous explique tout (ou presque!).

Page 36
En bref et en chiffres
Les choix prioritaires d’investissement du ministère des transports, les procédures judiciaires en cours, le coût actualisé du tunnel, la mobilisation des milieux économiques en Italie…

 

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Les compléments à ce dossier, à lire uniquement sur notre site :

Daniel Ibanez « Parier sur l’utilité du Lyon-Turin serait un grand gâchis »

Louis Besson : «Lyon-Turin : je revendique le droit d’être militant»
Cliquez ICI pour télécharger le pdf
Lyon-Turin : Chambéry choisit le fret (article)

Xavier Dullin : “le Lyon Turin sous Chartreuse, c’est moins de camions à Chambéry !”

Le président du parlement européen visite le chantier du Lyon – Turin

Que faut-il penser du soutien de 17 grands élus des Pays de Savoie au Lyon–Turin ?

 

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Des liens externes pour en découvrir davantage sur le Lyon-Turin :

La présentation du projet par le ministère français des Transports (qui dépend du ministère de la Transition écologique) :
https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/grand-projet-liaison-ferroviaire-lyon-turin

Le site de Telt, l’entreprise bi-nationale chargée de la réalisation de la partie transfrontalière (le grand tunnel et ses abords) :
http://telt-sas.com/

Le site du Comité pour la Transalpine, l’association qui fédère entreprises, collectivités et institution favorables à la nouvelle liaison :
http://www.transalpine.com/

Le blog et le site de la Coordination des opposants au Lyon-Turin (français) :
http://lacoordinationcontrelelyon-turin.overblog.com/
http://lyonturin.eu/

Le site des opposants « No Tav » de Turin (en italien) :
http://www.notavtorino.org/

Les pages Wikipedia sur le projet :
La page en français : https://fr.wikipedia.org/wiki/Liaison_ferroviaire_transalpine_Lyon_-_Turin
Et la page en italien (les contenus des deux pages ne sont pas identiques) : https://it.wikipedia.org/wiki/Progetto_di_ferrovia_Torino-Lione

Le dossier de presse du 11 septembre 2018 résumant les priorités du ministère (français) des Transports en matière de programmation des investissements (la petite ligne sur le Lyon-Turin est en page 14…) :
https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/dossier-presse-programmation-des-investissements-transports-presentation-des-priorites-du

La réaction d’Eric Fournier, maire de Chamonix et vice-président de la Région Auvergne-Rhone-Alpes au développement durable, à la suite des annonces gouvernementales (11 septembre 2018) en matières de programmation des investissement dans les transports :
https://www.chamonix.fr/actualites/1048-infrastructures-de-transport-prioritaires-pour-le-gouvernement-les-inquietudes-subsistent-concernant-le-lyon-turin.html

 

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Des liens vers quelques documents sources :

L’accord franco-italien du 29 janvier 2001 pour la réalisation d’une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000429856&categorieLien=cid

L’accord franco-italien du 30 janvier 2012 pour la réalisation et l’exploitation d’une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000029425907&categorieLien=cid

L’accord franco-italien du 24 février 2015 pour l’engagement des travaux définitifs de la section transfrontalière
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000034378631&dateTexte=&categorieLien=id

La convention Afitf / Ministère des Transports / Telt sur le financement des premiers travaux définitifs (mai 2018; version publique où ne figurent pas certaines données) :
Cliquez ICI pour télécharger le pdf

Le communiqué sur les décisions du Comité interministériel [italien] de programmation économique du 21 mars 2018 (en italien). Parmi ces décisions, l’approbation de la nouvelle variante (celle de 2015 en fait ; les modifications avaient portées sur les accès au grand tunnel, côté italien) :
http://www.programmazioneeconomica.gov.it/wp-content/uploads/2018/03/Esito-CIPE-21-marzo-2018-rivisto-dai-direttori.pdf

L’appel d’offres pour la mise en concession du service de ferroutage entre Aiton et Orbassano (Autoroute ferroviaire alpine) publié le 1er août :
https://ted.europa.eu/udl?uri=TED:NOTICE:300393-2017:TEXT:FR:HTML&src=0

… et celui pour une « Mission d’assistance et de conseil financier pour la mise en concurrence de la concession de l’Autoroute Ferroviaire Alpine », publié le 22 février 2018 (euh, n’aurait-il pas été plus judicieux de se faire conseiller avant de lancer l’appel d’offres principal ???) :
http://www.boamp.fr/avis/detail/18-24603

Le rapport annuel de la Cour des comptes 2017 et son chapitre spécial sur les autoroutes ferroviaires. L’Autoroute ferroviaire alpine, rempli de chiffres sur les coûts et les trafics (jusqu’en 2015) :
https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/…/07-autoroutes-ferroviaires-Tome-2.pdf

 

 

 

 

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