Cédric Laboret : « les agriculteurs doivent mieux dialoguer avec la société »

par | 21 février 2020

L’éleveur savoyard a été élu Président de la Chambre d’Agriculture Savoie Mont Blanc le 4 mars dernier. Il est le plus jeune de ses pairs en France. Voici son interview.

Quel cheminement vous a amené à être élu à la présidence de la Chambre d’agriculture Savoie Mont-Blanc à 40 ans ?

Dès mon installation à La Motte-en- Bauges en 2001, j’ai été amené à prendre des responsabilités. À l’époque, la Chambre d’agriculture cherchait un jeune pour impulser une dynamique à travers un groupement de vulgarisation agricole. Cela n’existait pas encore dans les Bauges. J’en ai été le premier vice-président. Puis j’ai pris la présidence de l’association des agriculteurs du Parc naturel régional des Bauges en 2006 et jusqu’en 2013. Entre-temps, en 2007, Patrice Jacquin, mon prédécesseur à la Chambre d’agriculture, m’a demandé d’intégrer le bureau pour préparer la fusion entre les deux départements. Auparavant, j’avais vécu une expérience similaire comme vice-président de la Coopérative des éleveurs savoyards (Copelsa). En 2013, j’ai été élu vice-président à l’aménagement et au territoire au sein de la Chambre, fonction que j’ai conservée jusqu’aux dernières élections.

Cette motivation à endosser toutes ces responsabilités est-elle un héritage familial ?

Non pas du tout ! Mes parents n’étaient ni impliqués dans des organisations, ni agriculteurs. Ce que je veux, c’est faire changer les choses, bouger ce qui a besoin de l’être et assouvir mon besoin d’échanges. Et puis, j’aime bien voir comment font les autres et remettre mon propre système en cause.

« Si demain on ne peut plus répondre aux cahiers des charges de nos AOP et IGP pour des raisons climatiques, nous devrons avoir des solutions. »

Vous étiez tête de la liste FDSEA-JA. Comment l’avez-vous montée ?

Nous avons essayé de représenter chaque territoire des deux Savoie et d’avoir plus ou moins toutes les productions, ce qui était assez compliqué. Elle comportait également 70 % de nouvelles têtes.

Quid de la parité hommes-femmes ?

Nous sommes restés à une femme sur trois, comme avant, ce qui est également la proportion au sein de la population agricole.

Quelles ont été les premiers changements que vous avez impulsés ?

Le bureau de la Chambre a été organisé différemment. Outre le secrétaire général et moi-même, il comporte désormais cinq secrétaires généraux adjoints qui sont chacun en charge d’un territoire : montagnes de Savoie, montagnes de Haute-Savoie, Arve-Genevois, Avant- Pays savoyard et Avant-Pays hautsavoyard. Ce sont des interlocuteurs crédibles, impliqués sur leur zone et légitimement élus. C’était important pour moi d’avoir cette entrée territoriale claire. À leurs côtés, cinq vice-présidents représentent les filières et les grandes questions qui nous touchent (animale, végétale, environnement, aménagement et installation-transmission).

Quelles seront les priorités de votre mandat, jusqu’en 2026 ?

La priorité des priorités, c’est le territoire. Nous voulons être le premier interlocuteur des collectivités locales et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dès que l’on parlera agriculture. 50 % des agriculteurs votent aux élections professionnelles : cela nous donne une vraie légitimité. On constate que la population accueillie augmente partout, poussant l’agriculture à portion congrue. Il nous faut réaffirmer notre rôle, ce qu’on est, à quoi on sert et monter des projets ensemble.

Lutter contre le grignotage des terres agricoles était déjà un axe fort de la mandature de Patrice Jacquin…

Oui et l’action menée a déjà porté ses fruits. Il y a dix ans, la Haute-Savoie perdait un hectare de terre agricole par jour. On a réduit de moitié cette consommation. Aujourd’hui, 300 hectares sont sacrifiés chaque année pour les constructions, mais sur les deux départements. Notre objectif est de faire diminuer ce chiffre de 50 % d’ici la fin de notre mandat.

Comment comptez-vous y parvenir ?

En continuant de travailler sur les documents d’urbanisme, en émettant des avis défavorables quand cela est nécessaire, comme nous l’avons fait pour le dernier schéma de cohérence territoriale des Aravis, en convainquant les élus… On a besoin de terres pour maintenir une agriculture extensive.

Quelles zones sont les plus tendues ?

Le Genevois, les agglomérations d’Annecy, de Chambéry, etc. Mais la question se pose aussi en montagne avec la frénésie de constructions dans les stations. Là, se superpose souvent un second problème, celui du pastoralisme qu’il nous faut plus que jamais défendre.

Pourquoi les alpages deviennent-ils si importants ?

Avec les effets du changement climatique, ils reprennent un vrai intérêt. Quand la sécheresse sévit en plaine, les alpages sont encore souvent verdoyants et accueillants pour les troupeaux. Malgré cela, la production de lait en alpage baisse car cela représente un vrai surcoût pour l’agriculteur. Il doit investir dans du matériel de traite spécifique, doit gérer son site d’altitude et celui de plaine en même temps, les conditions de travail y sont en général plus difficiles… Certains secteurs, comme les Bauges ou le Mont Blanc, voient leurs alpages en réelle déprise. Pour que cela reste intéressant, il faut que le chef d’exploitation y trouve une valorisation supplémentaire. Faire perdurer ce système, redonner de l’attrait au pastoralisme sera aussi une de nos priorités.

« EN TANT QU’AGRICULTEUR, TU NE FERMES JAMAIS LA PORTE DE L’USINE ! »

Vous parlez du changement climatique. Est-ce une préoccupation pour la profession ?

Oui, de plus en plus. D’ailleurs, la Chambre vient de lancer une grande réflexion sur le sujet, impliquant tout le tissu agricole. Des groupes de travail ont été constitués, qui rendront leurs conclusions en mars. Elles nous serviront à bâtir notre stratégie. C’est essentiel car si demain on ne peut plus répondre aux cahiers des charges de nos AOP et IGP pour des raisons climatiques, nous devrons avoir des solutions.

46 % des exploitations des Savoie ont au moins un produit sous signe de qualité (AOP, IGP ou autre label). Constate-t-on une tendance à se tourner vers le bio ?

Beaucoup moins qu’au niveau national où les conversions en bio ont progressé de 11 % en 2019. Les prix du lait dans nos départements sont déjà élevés du fait des AOP et IGP. Du coup, c’est compliqué de faire de la valeur ajoutée en plus. En outre, nos cahiers des charges sont déjà limitatifs. C’est en maraîchage que nous constatons les plus d’installations en bio. Nous les accompagnons au même titre que les autres, pour avoir des exploitations viables et rentables.

L’installation de nouveaux exploitants est une autre grande priorité de votre mandat…

Dans dix ans, la moitié des agriculteurs sera à la retraite. C’est la première fois qu’on atteint un tel niveau ! On installe 70 jeunes par an pour 100 retraités. L’objectif à atteindre est de 100 %. Notre chance, c’est que notre métier jouit d’un véritable attrait. Mais passer de l’idée à la réalité est parfois compliqué…

Pour quelles raisons ?

D’abord en raison de l’accès au foncier. La Chambre travaille pour cela sur l’accompagnement au cédant. Puis à cause des compétences techniques des candidats qu’il faut parfois inviter à se former.

Est-on toujours agriculteur de père en fils ?

Plus de la moitié des jeunes installés le sont désormais hors cadre familial, c’est un changement radical. On ne force plus les fils de paysans à devenir paysans, et c’est tant mieux car c’est un métier prenant. Tu ne fermes jamais la porte de l’usine !

On parle beaucoup d’“agribashing”. Est-ce vrai chez nous aussi ?

La pression est palpable. On est certainement une des professions les plus observées et les plus jugées, avec des incompréhensions qui sont souvent de la méconnaissance. On nous critique lorsqu’on étend du lisier, on nous taxe de faucher trop tôt ou trop tard, on dit que nous menaçons la biodiversité dès que nous taillons une haie… Un arboriculteur s’est même fait insulter alors qu’il pulvérisait ses arbres au printemps avec de l’argile ! En face, des vététistes ou des promeneurs foulent sans vergogne nos prairies juste avant leur fauche… Nous devons mieux communiquer, ouvrir encore plus nos fermes, organiser des débats… Pour qu’on n’en arrive pas à la fracture sociale que nous vivons au sujet du loup. Ce n’est pas facile pour un berger de s’entendre dire par n’importe qui que s’il s’est fait tuer ses brebis, c’est qu’il a mal fait son boulot ! Mieux dialoguer avec la société sera une des lignes directrices de ma présidence.


Propos recueillis par Sylvie Bollard


Cet article est paru dans votre magazine ECO Savoie Mont Blanc du 21 février 2020. Il vous est exceptionnellement proposé à titre gratuit. Pour retrouver l’intégralité de nos publications papiers et/ou numériques, vous pouvez vous abonner ici.

Crédit photo Image à la une : Agence Producteurs Locaux Damien Kühn on Unsplash

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