Dans son édito, Myriam Denis s’interroge sur la nature des relations humaines et du dialogue dans l’entreprise, convoquant le philosophe Hobbes, à l’appui de ses réflexions.
« En l’état de nature, l’homme est un loup pour l’homme », assurait le philosophe anglais Thomas Hobbes, au XVIIe siècle dans son ouvrage, Leviathan.
Souvent dévoyée de son sens originel, cette expression trouve sa source dans la réflexion anthropologique du philosophe, lequel s’est longuement intéressé à la manière dont ses semblables se comportent. Il considère, dans une vision relativement pessimiste de la société de l’époque en proie à de multiples conflits, que les êtres humains veulent globalement tous la même chose. Gouvernés par des instincts de défiance, de compétition et d’appétence pour la gloire, où le profit et l’égo surdimensionné prédominent, les êtres humains entrent potentiellement et régulièrement en guerre les uns contre les autres, afin d’assouvir leurs volontés. Et cela, « en l’état de nature », soit, dans une société non organisée, fruit de l’expérience de pensée philosophique de l’auteur. Pour sortir de ce chaos, Hobbes, qui théorise alors sur le pouvoir politique, imagine une société basée sur un pouvoir souverain et absolu, censé protéger les Hommes et leur apporter paix et sérénité.
« ENCORE SOUVENT, DANS NOS ORGANISATIONS, « L’HOMME EST UN LOUP POUR L’HOMME ». LES APPÉTITS VORACES DE CERTAIN-E-S L’EMPORTENT SUR DES VALEURS FONDAMENTALES QUE SONT LA LOYAUTÉ, LA BIENVEILLANCE, L’HONNÊTETÉ. »
Voilà, en quelques mots, un petit résumé de cette phrase philosophique au sens profond. Le lien avec l’économie ? J’y viens ! Vous lirez dans nos colonnes, cette semaine, une interview du vice-ministre du Travail québécois, Roger Lecourt. Une belle façon d’ouvrir nos chakras sur une manière totalement différente d’envisager le dialogue social en entreprise. Ni meilleure, ni moins bonne, elle permet de considérer les choses autrement et de prendre un peu de hauteur sur nos pratiques. Et notamment de s’interroger sur notre rapport à l’échange – apaisé ou conflictuel – mais aussi, notre rapport au travail. Force est de constater qu’en France, entre les réunionites aiguës dont l’efficacité reste à prouver et les mails aux 12 000 interlocuteurs en copie, preuve flagrante d’une flagornerie incroyable ou d’un manque de confiance abyssal, nos pratiques sont parfois archaïques. Et encore souvent, trop souvent, dans nos organisations, « l’homme est un loup pour l’homme ». Les appétits voraces de certain-e-s l’emportent sur des valeurs fondamentales que sont la loyauté, la bienveillance, l’honnêteté, qui n’existent peut-être que dans le monde des Bisounours… Dans notre système, reconnaître une quelconque erreur revient à faire un aveu de faiblesse forcément sanctionné, et les gens confondent régulièrement crainte et respect, notions diamétralement opposées. Pourtant, je veux continuer à croire en l’entreprise “humaniste”, où le salarié n’est pas perçu comme un simple outil de production et où l’employeur n’est pas vu comme un exploiteur avide de profit, où l’autonomie et le fonctionnement plus horizontal basé sur la confiance porte ses fruits. Les grèves, les droits de retrait, les conflits sociaux de tous ordres qui nous bercent depuis tellement longtemps tendent à démontrer régulièrement le contraire. Pas un jour ne passe sans qu’un quelconque conflit social ne soit pointé du doigt, sans que l’on évoque les discriminations, harcèlements, absence de considération et autres joyeusetés. Nous ne sommes pourtant plus à l’époque trouble de Hobbes ! En France, on tend presque à l’acceptation de cette négativité, à grand renfort de “c’est ainsi, le monde du travail”… J’ose espérer que non !
Myriam Denis
Rédactrice en chef
m.denis@eco-ain.fr

0 commentaires