À 20 ans, il a déjà vécu le pire. Khairollah Alemi, réfugié afghan, espère aujourd’hui devenir français. le lycée de Poisy le soutient.
Pendant que les élèves du lycée agricole de Poisy (Iseta) vaquent à leurs cours quotidiens avec une motivation parfois aléatoire, un jeune homme du même âge rêve, à quelques mètres d’eux, d’être à leur place. «Ce que j’aimerais vraiment, c’est de pouvoir continuer mes études plus loin que le CAP. Passer un bac pro ou un BTS par exemple. Mais c’est impossible, car qui va m’aider à payer mon logement, ma nourriture pendant ce temps-là ? » Khairollah Alemi, 20 ans, s’estime déjà heureux, bienheureux même, d’être en France, à Poisy, et d’avoir décroché un CDI au service maintenance de l’établissement. «C’est tellement bon de vivre en sécurité et libre ! »
Vingt ans à peine et des expériences de vie traumatisantes plein les valises. Des valises, d’ailleurs, Khairollah n’en avait pas lorsqu’il a débarqué à Annecy, par hasard, un jour de juillet 2013. À 15 ans, l’adolescent afghan avait déjà échappé à la mort plusieurs fois. Son bagage à lui, c’était la débrouille doublée d’un instinct de survie sans frontières. Khairollah raconte aujourd’hui son histoire à qui le lui demande. Cela n’a pas toujours été le cas. «J’étais timide avant », se justifie-t-il. Sans doute lui fallait-il aussi le temps de retrouver confiance, en lui, en les autres. Sans doute fallait-il également laisser les plaies se refermer lentement.
Son visage lisse se ferme pourtant un peu lorsqu’il évoque ces années de galère. Il garde la dignité de tous ceux qui ont trop souffert en évoquant la mort de ses parents à l’été 2009, victimes d’une mine sur la route, non loin de chez eux, dans la province de Helmand (sud de l’Afghanistan); en se souvenant de ses compagnons d’infortune laissés pour morts dans les montagnes turques ; en parlant des conditions de travail proches de l’esclavagisme qu’il a subies en Iran; en se remémorant ces nombreux rackets de passeurs indélicats; en se revoyant jeté à la mer, alors qu’il ne sait pas nager, par un de ces derniers… «Tout cela reste tout le temps dans mon corps. Des fois, quand je ferme les yeux, ça revient…»
Faim, esclavagisme et marche
L’histoire singulière de ce jeune homme débute alors qu’il n’est âgé que de 11 ans. Ses parents viennent de mourir. Son petit frère de sept ans confié à des voisins de confiance, il s’enfuit pour l’Iran. Il y espère une vie meilleure, loin de l’oppression quotidienne des Pachtounes et des talibans qui sévit contre son ethnie minoritaire, les Hazâras. En Iran, il trouve rapidement du travail : dans le bâtiment, en tant que serveur, cireur de chaussures, soudeur… «Mais les conditions étaient pires qu’en Afghanistan », se souvient-il. Proches de l’esclavagisme : « Quand j’ai demandé à être payé au bout de trois mois de travail, mon patron m’a dit que si je n’étais pas content, il allait me dénoncer à la police. »
Il veut poursuivre son chemin en Turquie. Un passeur l’entasse, avec une cinquantaine d’autres personnes, dans les soutes à bagages d’un car. Le trajet, éprouvant, dure huit heures, auxquelles s’ajoutent 15 heures de marche dans les montagnes. On les planque pendant une semaine dans une ferme, avec 3 kilogrammes de tomates, du pain et une eau douteuse pour survivre. Au bout de la quatrième tentative de passage de la frontière, le groupe, allégé de deux personnes décédées en cours de route, arrive à Ankara, puis à Istanbul. Khairollah découvre un autre monde où on ne parle plus sa langue, le farsi. Les difficultés s’accumulent, les petits boulots ne sont pas légion. Il fait les poubelles pour se nourrir, dort dehors. Et décide de continuer vers la Grèce. Là encore, le passage de la frontière, par les montagnes, restera gravé à jamais dans sa mémoire. « J’ai failli mourir, on est resté 15 jours loin de tout sans rien à manger.»
Après plusieurs tentatives, il parvient à ses fins sur le sol grec, mais se fait arrêter. Prison et retour en Turquie. Cette fois, il vise plutôt l’Italie. Un passeur le fait monter, pour 4500 euros, dans un camion qui embarque sur un porte-conteneurs. « Je ne savais pas où on allait. » Son groupe se fait débarquer au milieu de nulle part. Boit l’eau d’un seau destinée aux vaches. Aperçoit un drapeau vert blanc rouge au loin : panique, ce sont les couleurs du drapeau iranien! «Une des personnes du groupe, qui avait fait des études, nous a rassurés en nous disant que c’était le drapeau italien. » Ils trouvent des rails, les suivent jusqu’à la prochaine gare, montent dans un train et arrivent à Rome.
Au bout de trois jours de misère, le gamin veut aller à Paris, espérant dénicher là-bas un compatriote parlant sa langue. Il ne sait pas lire notre alphabet, ne parle pas un mot ni d’italien ni de français. Il arrive à Nice en croyant être à Paris. Reprend sa route, parvient à Marseille, puis à Lyon, à Annecy, à Annemasse… « À chaque fois, je n’avais qu’un objectif : trouver un Afghan pour m’aider », se souvient-il. C’est à Annemasse que ce miracle advient. «En passant devant un café, j’ai entendu quelqu’un parler dans ma langue. Un homme téléphonait. C’était un cadeau de Dieu! Je me suis senti comme une fleur qui s’épanouit.»
Renaissance en Haute-Savoie
La rencontre marquera la fin provisoire de son calvaire. Pris en charge par la police annemassienne,puis par le Département dans le cadre de la protection des mineurs isolés, Khairollah entame alors sa renaissance. Nous sommes en juillet 2013. En septembre de la même année, il retourne à l’école, apprend le français. L’automne suivant, il débute un CAP maintenance des bâtiments collectifs en alternance. L’Iseta de Poisy sera son maître de stage. Après trois ans d’études acharnées, il obtient son diplôme avec 12,5 de moyenne ! L’Iseta lui propose de rester en CDI, il accepte.
Devenu majeur, il entreprend les démarches pour sa régularisation et voit son titre de séjour prolongé jusqu’en 2021. «Je veux maintenant faire une demande de naturalisation française », poursuit-il. En France depuis cinq ans, il ne connaît pas le mal du pays : «Tout le monde me demande si l’Afghanistan me manque, mais là-bas, la vie n’est pas une bonne vie. »
Ses désirs les plus chers sont désormais au nombre de trois. Le premier serait de faire venir son petit frère, Fayzollah, âgé de 15 ans, près de lui. «Je ne veux pas qu’il fasse comme moi, qu’il confie sa vie à des passeurs en ayant neuf chances sur dix de mourir.» Placé par Khairollah dans une province afghane plus sûre, Fayzollah va à l’école. Khairollah lui paie ses études. Études qu’il aimerait tant, lui, reprendre. C’est son troisième souhait le plus cher. Le deuxième est bleu comme une carte d’identité française. Bleu comme l’horizon de jours meilleurs.
Par Sylvie Bollard
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