Lacs, électrification : la navigation se met dans le sens du courant

par | 24 mars 2023

Les acteurs de la navigation lacustre ont mis le cap sur la propulsion électrique, en misant sur le solaire et l’hydrogène comme sources d’énergie. ECO vous embarque pour une croisière découverte, du Bourget au Léman. Mais cette électrification est-elle physiquement possible en termes de ressources en métaux ?

Depuis trente ans, le Libellule, vaisseau emblématique de la Compagnie des bateaux du lac d’Annecy (créée en 1886), n’avait pas été modifié. Or, « depuis novembre 2022, il se trouve en cale sèche au port de Sevrier pour un chantier colossal de cinq mois », précise Philippe Gausset, PDG de la holding Tourisme Participations (Compagnie des bateaux d’Aix-les-Bains, d’Annecy et d’Aiguebelette ; 7 M€ de chiffre d’affaires, 43 équivalents temps plein), qui a entamé la conversion de l’ensemble de sa flotte à l’électrique.

C’est l’illustration la plus visible que, dans la navigation des lacs du Bourget, d’Annecy et du Léman (à Aiguebelette, c’était déjà le cas), une révolution est en cours : à l’image de l’e-foil, qui permet aux surfers de voler au-dessus de l’eau, innovations et investissements électriques se multiplient. Depuis l’été 2020, le Solely, navire de Bateaucanal, société de Chanaz (600 000 € de chiffre d’affaires, 3 salariés), vogue sur le canal de Savières et le lac du Bourget grâce à ses e-moteurs et panneaux solaires.

Le Libellule du lac d’Annecy est en cale sèche pour rénovation et installation d’un moteur 100 % électrique.

« Nous avions déjà réduit le bruit et les émissions en 2019 avec le GTL [gaz liquéfié, NDLR]. Mais avec le Solely, nous nous rapprochons de l’autonomie (60 %) grâce aux panneaux », se réjouit le dirigeant, Yann Lefebvre. Également sur le lac du Bourget, Benjamin Pellicier, issu du tourisme d’affaires, a mis à l’eau l’Alpine Boat (électro-solaire) à l’été 2021. Sur le Léman, Solar Boat Greta (Genève), Grove Boat (Lausanne) ou Hélionaute (Yvoire ; lire Éco du 22 septembre 2022) se sont eux aussi lancés dans la navigation électrique ou hybride.

Parce que les normes évoluent et parce que la préservation des environnements lacustres est un enjeu sensible : la levée de boucliers générée par le projet de vague artificielle de surf à Aix-les- Bains (Éco du 29 octobre 2021) l’avait déjà montré. « Nous ne basculons pas par obligation réglementaire mais par volonté de contribuer à la neutralité carbone de 2050. Les clients, plus sensibilisés au réchauffement climatique, apprécient », souligne Philippe Gausset, qui s’attend à ce que la partie thermique des moteurs hybrides mute au gaz dans le futur.

Exigence sociétale

Pour autant, électrifier à 100 % tous les bateaux n’a rien d’évident. « Se cantonner au canal permet de recharger lors du passage en écluse. Mais passer en électrique pour notre Savoyard 2 coûterait 300 000 €, car il faudrait davantage investir en batterie pour gagner en autonomie sur le lac », illustre ainsi Yann Lefebvre. Et même si la durée de vie et le temps de charge des batteries au lithium s’améliorent, l’hydrogène pourrait bien changer la donne.

« Les engins de taille réduite, adaptés aux petits trajets, fonctionneront à l’électricité, rechargés la nuit, à l’image des voitures de particuliers. Tandis que les navires de masse, servant à transporter des passagers, avanceront à l’hydrogène, comme les camions », pronostique le navigateur-entrepreneur Alain Thébault. Pour la navigation “écolo”, les lacs alpins semblent donc… sur la bonne route.

Électrification et ambition

Via sa filiale la Compagnie des bateaux du lac d’Annecy, Tourisme Participations (lire aussi ci-dessus) a mis à l’eau L’Amiral en 2020 : un bateau hybride pouvant transporter 150 passagers. Son moteur électrique-thermique (lithium et gaz liquéfié) était alors une première mondiale. « Nos autres bateaux étant thermiques, nous avons ensuite décidé d’électrifier le reste de la flotte », relate le PDG, Philippe Gausset. Ce basculement se déroule jusqu’au printemps 2024, au prix de 8,8 M€ d’investissement (avec 450 000 € de la Région), alors qu’un « simple renouvellement de moteurs thermiques n’aurait coûté “que” 3 M€. »

Tout aussi volontariste sur le développement de l’activité, le dirigeant aborde maintenant le Léman : il vient de racheter la compagnie Hélionaute, à Yvoire, qui exploite le bateau électro-solaire L’Odina, et de répondre à une consultation de la mairie de Thonon. « Deux bateaux proposeront des croisières », annonce celui qui entend également remédier à la pénurie de pilotes, avec l’ouverture de l’Académie des navigants (certifiée Qualiopi), à Aix-les-Bains.

Avec 60 kWh de batterie, une autonomie de 120 km, une vitesse de 65 km/h, e-Nemo, qui peut accueillir six passagers, intéresse les milieux d’affaires et hôteliers.

Bataille autour des “bulles”

Les Seabubbles sont des bateaux électriques dotés de foils (ailerons sous coque), volant à 50 cm au-dessus de l’eau, sans bruit, sans vague et sans émission polluante. Capables de transporter jusqu’à cinq personnes, ils ont été testés dans la rade de Genève en 2018, puis sur la Seine à Paris (2019). En juin 2020, afin de développer des navettes lacustres et de convertir ses “bulles” à l’hydrogène, Alain Thébault, leur concepteur, installe ses bureaux d’études au bord du lac d’Annecy. Mais les bateaux à foils avec moteur… y sont interdits.

« Je me suis plaint (en vain) au préfet. L’administration n’a pas compris qu’il s’agit des emplois de demain », peste le navigateur, qui repart alors poursuivre ses tests sur le Léman suisse, tout en gardant ses bureaux à Saint-Jorioz. Contrarié par une décision judiciaire lui interdisant, à ce moment-là (cette condamnation faisait suite à la liquidation de sa SARL Hydroptère en 2017, qui n’avait pas été conclue dans les formes, NDLR). Fait rare : suite à un recours de l’ex-navigateur, cette décision a finalement été annulée, fin 2021, de diriger une entreprise en France, et souhaitant créer un engin plus rapide, plus grand, avec plus d’autonomie que le taxi volant, il vend Seabubbles, en décembre 2020, à Mediapps Innovation, un fonds d’investissement lyonnais… avec qui il est maintenant brouillé.

Il crée alors, en Suisse, Bubblefly (en train de devenir Nemojet), pour produire le e-Nemo (2 M€ levés actuellement, via Mazars Lausanne) et The Jet H2 (un transporteur de luxe ; 8,5 M€ levés en France avec Bpifrance) : l’un à l’électricité, l’autre à l’hydrogène. Nemojet propose une solution clé en main, sur abonnement : bateau, pilotage et maintenance.

Assemblage en France ?

Des acteurs asiatiques et moyen-orientaux se sont positionnés mais le premier client est Français : le Club 55, à Ramatuelle (Var). Et même si c’est en Suisse (chez Decision SA, qui a déjà oeuvré pour l’Hydroptère, Solar Impulse ou Alinghi) que le premier jet est construit, Alain Thébault tient à ce que l’assemblage soit réalisé en France : il cherche maintenant à racheter l’ancienne usine Dannenmüller/ Dynastar… à Saint-Jorioz, son ancienne base du temps de Seabubbles.

Seabubbles qui, soutenue par Bpifrance, la Région Aura et le programme de l’Union européenne H2020 a, de son côté, elle aussi, annoncé sa conversion à l’hydrogène : même si elle ne fait pas de vague sur l’eau, la course à la navigation propre et vertueuse sur les lacs n’a peut-être pas fini de faire des remous.


Julien Tarby

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